Identité numérique : une menace silencieuse pour les droits fondamentaux ? Recours juridiques en France et dans l’Union européenne

Identititer numérique

l’identité numérique entre progrès et dérive juridique

Présentée comme un outil de simplification et de sécurité, l’identité numérique – qu’il s’agisse de France Identité ou du portefeuille européen d’identité numérique (eIDAS 2.0) – vise à centraliser nos données personnelles pour faciliter les démarches administratives et les transactions en ligne.

Mais derrière la promesse d’efficacité, se pose une question majeure : jusqu’où l’État et l’Union européenne peuvent-ils aller dans la collecte, la conservation et le partage de données personnelles ?
Car au regard du droit européen des droits fondamentaux, ces systèmes pourraient violer des principes essentiels : vie privée, liberté individuelle, et protection des données.


1. Un cadre légal fragile : quand l’efficacité heurte les droits fondamentaux

1.1. Les textes fondateurs en jeu

Trois grands instruments juridiques encadrent la protection des données et des libertés :

  • La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (articles 7 et 8) : garantit le respect de la vie privée et la protection des données personnelles.

  • Le Règlement général sur la protection des données (RGPD) : impose la minimisation des données et interdit leur traitement sans base légale claire.

  • La Convention européenne des droits de l’homme (article 8 CEDH) : protège le droit à la vie privée et familiale contre toute ingérence disproportionnée des autorités publiques.

Ces textes s’imposent aussi bien à la France qu’aux institutions européennes.


1.2. L’identité numérique : une centralisation à haut risque

Le Wallet européen d’identité numérique (eIDAS 2.0), validé en 2024, prévoit un système d’identité unifié pour les citoyens européens.
En France, l’application France Identité ou l’Identité Numérique La Poste permettent déjà une authentification en ligne via des données biométriques.

Or, cette centralisation des identités et des données biométriques crée un risque structurel :

  • interconnexion entre administrations et acteurs privés,

  • traçabilité des activités numériques,

  • possibilité de profilage ou de surveillance.

Même si les autorités invoquent la sécurité, le principe de proportionnalité exigé par la CEDH et le RGPD impose que toute restriction aux libertés soit nécessaire et strictement encadrée.
Or, plusieurs juristes estiment que ces dispositifs vont au-delà de ce qui est nécessaire pour l’identification numérique.


2. En quoi ces dispositifs peuvent violer les droits humains

2.1. Atteinte au droit à la vie privée (article 8 CEDH, article 7 Charte UE)

Le stockage et l’interconnexion de données personnelles sensibles (empreintes, documents, identifiants) peuvent mener à une surveillance généralisée, contraire au droit à la vie privée.
Même si les États prétendent ne pas utiliser ces données à des fins policières, le risque d’abus technologique reste réel : piratages, usage détourné, exploitation par des partenaires privés.


2.2. Violation potentielle du principe de consentement libre (RGPD, art. 6)

Le RGPD exige que tout traitement de données repose sur un consentement libre et éclairé.
Or, dans le cas de l’identité numérique, ce consentement devient contraint de fait : pour accéder à certains services publics ou bancaires, il faut s’enregistrer.
Cette contrainte rend le consentement non libre, ce qui viole l’esprit du RGPD.


2.3. Risque de discrimination et d’exclusion numérique

La numérisation forcée de l’identité crée une fracture numérique : les citoyens sans accès ou sans maîtrise des outils numériques se retrouvent marginalisés.
Cela contrevient au principe d’égalité d’accès aux services publics, garanti par le droit français et la Charte des droits fondamentaux (article 21).


3. Les voies de recours juridiques disponibles

3.1. En France : la CNIL et le Conseil d’État

  1. Saisir la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés)

    • Tout citoyen peut déposer une plainte pour traitement illicite de ses données.

    • Si la CNIL constate une violation du RGPD, elle peut exiger la suspension du traitement ou infliger une sanction à l’État ou à l’organisme concerné.

    • Référence : Article 77 RGPD.

  2. Saisir le Conseil d’État

    • Recours possible pour excès de pouvoir contre un décret ou un arrêté instaurant l’identité numérique.

    • Argument juridique : violation du droit à la vie privée et du RGPD.

    • Possibilité de question prioritaire de constitutionnalité (QPC) pour invoquer la liberté individuelle (article 66 Constitution).


3.2. À l’échelle européenne : CJUE et CEDH

  1. Recours devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE)

    • Une personne ou une association peut demander à un juge national de poser une question préjudicielle à la CJUE sur la conformité du système d’identité numérique avec le droit de l’Union.

    • La CJUE a déjà censuré des dispositifs similaires de surveillance de masse (arrêts Digital Rights Ireland, Tele2 Sverige).

    • Une décision favorable pourrait invalider partiellement eIDAS 2.0.

  2. Saisine de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH)

    • Si les recours nationaux échouent, un citoyen peut saisir la CEDH pour violation de l’article 8 (vie privée) ou article 14 (non-discrimination).

    • La Cour peut condamner un État pour collecte disproportionnée de données personnelles.


4. Stratégies juridiques concrètes pour contester l’identité numérique

  1. Constituer un dossier de preuve : collecter les documents officiels (décrets, conditions d’utilisation, données traitées).

  2. Faire valoir l’absence de consentement libre au sens du RGPD.

  3. Soutenir que la centralisation biométrique est disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi.

  4. Mobiliser le principe de précaution numérique, invoqué par certains juristes comme fondement d’une protection préventive des libertés.

  5. S’allier avec des ONG (La Quadrature du Net, NOYB, Privacy International) pour mutualiser les recours.

  6. Engager une action en justice collective (recours groupé) devant les juridictions administratives ou européennes.


5. Perspectives : vers un encadrement constitutionnel du numérique ?

L’identité numérique pose une question de fond : le numérique peut-il devenir obligatoire sans violer les libertés fondamentales ?
Certains juristes plaident pour un contrôle constitutionnel renforcé des technologies d’identification et pour une Charte européenne du numérique garantissant :

  • le droit à l’anonymat partiel,

  • la neutralité technologique,

  • et la non-discrimination pour les citoyens refusant ces outils.


défendre les droits numériques, un devoir citoyen et juridique

L’identité numérique, telle qu’elle est aujourd’hui conçue, flirte dangereusement avec la frontière du droit.
En centralisant les données et en rendant leur usage quasi obligatoire, elle pourrait violer plusieurs textes européens et constitutionnels.

Mais les citoyens ne sont pas impuissants :

  • recours devant la CNIL,

  • contentieux au Conseil d’État,

  • questions préjudicielles à la CJUE,

  • requêtes à la CEDH.

Ces voies légales sont autant d’outils pour restaurer l’équilibre entre innovation et liberté.
Protéger le droit à la vie privée n’est pas refuser le progrès : c’est en garantir les conditions démocratiques.

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